24 avril 2024

Renforcer la résilience climatique dans le secteur des services financiers : Un résumé de notre conversation avec l’Autorité des marchés financiers au sujet de sa ligne directrice


Le 24 avril 2024, l’Initiative canadienne de droit climatique (CCLI) a organisé en collaboration avec Governance Professionals of Canada un webinaire pour discuter avec l’Autorité des marchés financiers (AMF) au sujet de sa ligne directrice sur la gestion des risques liés aux changements climatiques. Durant un panel modéré par Flavie Desgagné-Éthier, Directrice de programme en changements climatiques à la Fondation familiale Trottier, les participants ont donné un bref aperçu de la ligne directrice, de ses implications pour les institutions financières réglementées au Québec et de son importance au Québec, au Canada et au niveau international en termes de réglementation en finance durable.

Julien Reid, Directeur principal de l’encadrement et de la résolution à l’AMF, a commencé par faire un survol de la ligne directrice et en quoi elle cadre avec la mission de l’AMF comme autorité de réglementation prudentielle. Il a commencé à mentionner que la ligne directrice finale allait être alignée avec la ligne directrice B-15 du Bureau du Surintendant des Institutions Financières (BSIF). Julien a mentionné que le risque climatique était déjà pris en compte, mais que des attentes plus précises envers les institutions financières étaient nécessaires. C’est un des enjeux importants pour l’AMF qui souhaite être un régulateur influent sur le secteur financier québécois. En 2022, l’AMF a publié un rapport sur les risques liés aux changements climatiques suite à un sondage mené auprès d’environ 100 institutions pour prendre le pouls de leur industrie. En parallèle, l’AMF a travaillé avec le Conseil canadien des régulateurs responsables de l’assurance pour le traitement équitable des consommateurs. Donc cette ligne directrice s’inscrit dans ces travaux et dans les efforts d’harmonisation avec le BSIF puisque les assureurs fédéraux qui font affaire au Québec ont besoin d’un permis. De plus, au Québec, plusieurs assureurs qui sont très gros ne sont pas supervisés par le BSIF. Pour que le marché soit effectif, l’harmonisation est nécessaire. Il a rappelé qu’une ligne directrice n’est pas prescriptive et permet d’appliquer le concept de proportionnalité selon le type d’institution.

Julien a également parlé du traitement équitable des clients, qui est un mandat provincial pour les assureurs et les institutions de dépôt. Cela vient compléter le mandat d’éducation financière de l’AMF qui considère qu’il était important que les clients soient informés des risques climatiques, surtout physiques. L’AMF souhaite protéger les consommateurs tout au long du cycle de vie du produit sans nécessairement forcer une institution financière à proposer des produits couvrant un risque qui pourrait être certain. Cela dépend de l’appétit pour le risque de l’institution financière. Finalement, il a partagé les prochaines étapes qui incluent le travail que l’AMF fait avec le BSIF sur les scénarios climatiques et l’entente signée avec la Chaire en macroéconomie et prévisions de l’ESG UQAM concernant l’étude de la résilience financière face aux changements climatiques.

Sonia li Trottier, Directrice de l’Initiative canadienne de droit climatique (CCLI), a ensuite discuté de la manière dont la ligne directrice s’inscrit dans le paysage de réglementation prudentiel au Canada et à l’international. L’AMF est le premier organisme de réglementation prudentiel des institutions financières qui publie une ligne directrice sur la gestion des risques financiers liés au climat. En Colombie-Britannique, la BC Financial Services Authority qui réglemente le secteur des services financiers a tenu une consultation sur les risques liés aux catastrophes naturelles et climatiques de juillet à novembre 2023, mais aucun projet n’est encore publié, démontrant le leadership du Québec.

Sonia li a accueilli la nouvelle de Julien comme quoi la ligne directrice allait être alignée avec la ligne directrice B-15 du BSIF, améliorant l’harmonisation entre les régulateurs aux niveaux provincial, fédéral et international puisque le BSIF a mis à jour en mars dernier B-15 avec les normes IFRS S2. CCLI avait notamment recommandé que la ligne directrice de l’AMF reconnaisse le risque climatique comme étant un risque transversal et qu’elle inclut la divulgation obligatoire des émissions de gaz à effet de serre (GES) du champ d’application 3, qui constituent souvent le lion des émissions des institutions financières. Elle a mentionné que l’objectif d’inclure cette divulgation obligatoire est de renforcer les capacités des institutions financières et d’avoir une meilleure compréhension de l’exposition au risque climatique de l’institution financière dans sa chaîne de valeurs et ses émissions financées.

Au niveau international, Sonia li a mentionné l’importance de l’alignement des exigences de divulgation avec les normes internationales IFRS S2 dont le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) a annoncé suivre les tendances internationales. Cet alignement est essentiel pour l’harmonisation.

Sonia li a terminé ses remarques en mentionnant l’importance que les institutions financières ont dans la transition autant dans leurs investissements dans des secteurs à forte intensité carbone que dans les opportunités d’investissement dans des solutions vertes et dans l’engagement avec les entreprises dans leur portefeuille. Elle a rappelé l’exemple du secteur des assurances, notamment avec State Farm qui a arrêté de fournir des polices d’assurance aux nouveaux propriétaires en Californie due au risque climatique croissant des feux de forêt.

Marie-Annick Bonneau, VP principale, relations avec les investisseurs, gestion du capital, durabilité et affaires publiques chez iA Groupe financier, a partagé sa perspective du domaine des assurances, notamment leur cheminement en matière d’intégration des risques climatiques. iA Groupe financier a énormément fait de progrès quant à la gestion des risques et opportunités climatiques. En 2019, iA Groupe financier a signé les principes d’investissement responsable avec les Nations Unies pour intégrer les principes d’investissement responsables. Les investisseurs ont des attentes élevées en termes de divulgation extra financière et cela fait trois ans qu’iA publie un rapport aligné sur les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC ou TCFD en anglais), fournissant des informations pertinentes et utiles pour les investisseurs. Ils ont depuis grandement améliorer leur gouvernance et leurs processus de gestion des risques. Ils ont aussi des formations pour leurs administrateurs à chaque année et font des rapports trimestriels des risques matériels pour leur entreprise. Marie-Annick a mentionné que bien que le premier rapport TCFD prend du temps, il est essentiel pour permettre une réelle réflexion holistique sur comment les risques climatiques affectent la stratégie, le modèle d’affaires, les investissements, les opérations et tous les autres verticaux de l’organisation.

Elle a mentionné que de la ligne directrice de l’AMF est accueillie puisque cela permet de réfléchir à la gouvernance des organisations et permet un meilleur encadrement et structure afin que les divulgations ne soient pas un exercice de marketing. Cela permet aussi de fournir des meilleures informations aux investisseurs et aide les décideurs à l’interne à avoir moins d’angles morts et prendre de meilleures décisions. Par exemple, en préparation de la ligne directrice de l’AMF, iA a publié une politique spécifique liée au climat plutôt que de l’intégrer dans leur politique de durabilité.

Karine Péloffy, Cheffe de projet finance durable à Écojustice, a élaboré sur l’importance d’inclure l’analyse de scénario qui soit alignée sur 1.5°C puisque de plus en plus d’études, notamment de l’Institute and Faculty of Actuaries au Royaume-Uni, qui mentionne le caractère inadéquat des modèles pour déterminer l’étendu des impacts et des risques climatiques. Ecojustice propose une approche portée par la Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois S-243 par la Sénatrice Rosa Galvez qui exige de conduire une analyse de scénario climatique alignée sur 1.5°C, le seul scénario qui compte pour garantir plus d’une chance sur deux de maintenir le climat sans dépassement ou dépassement minimes de l’objectif de 1.5°C. Karine a mentionné que de plus en plus d’actuaires énoncent que les risques sont beaucoup plus élevés qu’on le pensait si le climat va au-delà de 1.5°C. Elle a mentionné la nécessité de sortir des énergies fossiles puisque 80% des émissions responsables du réchauffement climatique sont liées aux combustibles fossiles. Il serait donc important de considérer comme la réglementation financière pourrait aider à arrêter la facilitation de cette industrie via les investissements. Karine a terminé en mentionnant que le risque de litige lié au climat qui est de plus en plus présent.

Les panélistes ont ensuite discuté des autres éléments à considérer en termes de réglementation. Julien a mentionné que l’AMF suit les travaux du CCNID pour adapter en temps et lieu leur ligne directrice en s’assurant d’être dans le bon cadre légal. Marie-Annick a également partagé le développement de législation concernant un amendement à la Loi sur la concurrence au niveau fédéral pour faciliter la collaboration des entreprises au niveau des risques environnementaux. « On n’y arrivera pas seul, » mentionne-t-elle.

Finalement, les panélistes ont abordé l’impact des réglementations concernant la divulgation sur les petites et moyennes entreprises (PME). Sonia li a abordé l’effet boule de neige des réglementations qui touchent les institutions financières pour les entreprises dans leur portefeuille et prêteurs et qu’il est important de ne pas attendre que les normes et exigences soient finals pour commencer à se pencher sur ces questions puisqu’elles sont en constantes évolutions. Il n’y qu’à regarder ce qui se passe en Europe où les PME doivent divulguer de l’information financière liée au climat. Les PME ne doivent pas penser qu’elles vont s’en sortir car elles ont moins de capacité et ressources. Karine a quant à elle partager un cadre alternatif où les PME pourraient simplement se poser des questions telles que « Est-ce que l’organisation utilise des combustibles fossiles? Est-ce qu’elle fait affaire avec des compagnies de combustibles fossiles? » plutôt que de se concentrer sur la question de la comptabilisation des gaz à effet de serre car c’est en effet un exercice difficile. Marie-Annick a terminé en disant que bien que cela a pris du temps à iA Groupe financier de faire son premier rapport TCFD, il ne faut pas que cela décourage les PME puisque iA est une entreprise grande et complexe. L’exercice, y compris la réflexion, serait plus simple pour une PME.

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