2 décembre 2025

Le devoir de vigilance environnementale et sociale : un outil pour mieux encadrer l’impact des entreprises


Le devoir de vigilance constitue une approche juridique globale visant à mieux encadrer les impacts sociaux et environnementaux des grandes entreprises. Ces dernières années, alors que plusieurs juridictions européennes ont choisi de renforcer l’encadrement des entreprises établies sur leur territoire, c’est désormais au tour de l’Union européenne (UE) d’instaurer un nouveau cadre pour les pratiques d’affaires au sein de son espace commercial. Un nouveau vote sur la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, également appelée Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD), a eu lieu en novembre. Ce vote, sous forte tension politique, a représenté une remise en cause partielle des ambitions de la stratégie européenne de durabilité que les institutions de l’UE poursuivent depuis 2020.

L’approche du devoir de vigilance

Le devoir de vigilance sociale et environnementale repose sur un ensemble de mesures visant à identifier, prévenir et réparer les atteintes graves aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé, à la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement.

Suivant cette approche, l’entreprise est tenue d’adopter une démarche proactive pour cartographier les risques associés à l’ensemble de sa chaîne de valeur, afin d’éviter les atteintes et dommages potentiels. Cette approche prend aussi acte du caractère fortement mondialisé des chaînes de valeur et exige des entreprises qu’elles disposent d’une connaissance approfondie non seulement de leurs propres activités, mais aussi de celles de leurs filiales, fournisseurs, sous-traitants et de tout autre partenaire commercial avec lequel elles entretiennent une relation d’affaires établie.

L’influence des conversations internationales

Souvent citée en exemple, l’approche française du devoir de vigilance demeure l’une des plus abouties de ces dernières années. Malgré certaines limites relevées par la doctrine, le législateur a cherché à concrétiser les grands principes promus par de nombreuses organisations internationales – tels que les Principes directeurs des Nations Unies, les Lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou encore les travaux de l’Organisation internationale du Travail (OIT) – en vue de créer un cadre plus protecteur pour les parties prenantes interagissant avec les grandes entreprises établies en France et répondant aux critères fixés par la loi.

Instaurés en France par la loi n°2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, les plans de vigilance sont une pièce angulaire du dispositif de vigilance. Produits annuellement, les plans de vigilance doivent démontrer la capacité des entreprises concernées à identifier les risques et à mettre en œuvre des mesures préventives afin d’éviter les atteintes graves aux parties prenantes et à l’environnement.

Le devoir de vigilance représente aussi la volonté de retranscrire, dans le droit positif, les attentes d’une société civile de plus en plus sensible aux risques climatiques, à la protection des communautés et à la préservation des écosystèmes. Cette approche se distingue des cadres de soft law dépourvus de portée contraignante.

De plus, au-delà de la clarification des obligations des entreprises, l’établissement d’un système de sanctions en cas de manquement est un autre élément clé du dispositif de vigilance. En France, le législateur a opté pour un régime de responsabilité permettant aux parties prenantes lésées d’engager la responsabilité de l’entreprise sur le fondement d’un manquement à son plan de vigilance. Cette disposition doit contribuer à renforcer la responsabilisation des entreprises françaises quant à leurs impacts internationaux.

Des avancées au niveau de l’Union européenne

À l’échelle européenne, la directive CSDDD imposera également des obligations renforcées, non seulement aux entreprises de l’UE, mais aussi aux entreprises étrangères remplissant certains critères. Cette volonté d’affirmer la portée extraterritoriale du droit européen témoigne de l’approche des instances de l’UE de chercher à pousser toutes les entreprises opérant sur le marché unique – l’un des plus vastes au monde – à respecter ses réglementations, valeurs et objectifs. Cette nouvelle réglementation de devoir de vigilance s’inscrit dans le Pacte vert pour l’Europe, qui vise à assurer la durabilité et la carboneutralité du continent d’ici 2050. Bien que le vote au Parlement européen de novembre 2025 a pour effet une révision majeure du contenu de la directive, restreignant de façon significative la portée de certaines obligations présentes dans les versions antérieures du texte, l’adoption de la directive reste une avancée à suivre de près pour les acteurs canadiens. 

Les perspectives canadiennes et québécoises

Au Canada, malgré un retard notable dans l’encadrement de certains secteurs, plusieurs réflexions et discussions sont en cours et pourraient conduire à un renforcement du cadre juridique existant. Le perfectionnement de textes existants et la clarification de certaines obligations, notamment celles liées au devoir fiduciaire, permettraient de mieux préparer les entreprises tout en favorisant les efforts de transition écologique et sociale.

Le Québec, quant à lui, peut représenter un terrain propice à une réflexion renouvelée sur le devoir de vigilance sociale et environnementale. Caractérisée par un contexte culturel unique, traversée par une double influence juridique mais aussi par des attentes contemporaines fortes en matière de durabilité, la province peut être force de proposition pour assurer une meilleure responsabilisation des entreprises au Canada.

Dans la recherche proposée, plusieurs avenues sont mises de l’avant pour entamer, sans tarder, le chantier sur le devoir de vigilance sociale et environnementale québécois. La mise en place d’un Observatoire, réel espace de concertation entre différents acteurs (société civile, syndicats, universitaires, entreprises, etc.) pouvant systématiser les informations disponibles et proposer des améliorations dans les pratiques des acteurs corporatifs de la province, est l’une des avenues identifiées. De même, le lancement d’un chantier doctrinal majeur qui permettrait de repenser la responsabilité sociale et environnementale des entreprises dans un contexte de crise climatique exacerbée représente une démarche clé pour moderniser notre droit. Les améliorations pourraient notamment passer par un régime de responsabilité civil renouvelé, un accès plus efficace à la justice pour les communautés impactées mais aussi une révision des textes québécois pour y inscrire les impératifs sociaux et environnementaux comme des considérations d’intérêt public supérieur qui doivent guider toute décision.