24 juillet 2024

Cultiver les opportunités liées au climat dans les petites entreprises agricoles au Canada


Depuis des générations, les agriculteurs canadiens sont les gardiens de la terre et préservent leurs exploitations pour la génération suivante. Outre le fait de gérer les risques décrits ci-dessus, des opportunités se présenteront à eux. Les agriculteurs ont adopté des méthodes et des technologies durables pour s’adapter à l’évolution du climat canadien et réduire les émissions grâce à des pratiques plus vertueuses et efficaces. Par le passé, les pratiques de gestion bénéfiques (PGB) agricoles du Canada ont promu des méthodes respectueuses de l’environnement; cependant, elles ne sont adoptées par les agriculteurs que si elles s’avèrent profitables sur le plan financier. L’évolution des risques liés au climat a pour effet de modifier les paramètres et d’allonger l’échéance de la planification.

Des améliorations sont apportées afin de mieux identifier les pratiques de gestion bénéfique qui conviennent à une exploitation ou entreprise agricole donnée. Des efforts sont faits pour affiner les pratiques agricoles afin de garantir la résilience climatique et la viabilité de l’environnement à l’échelle des exploitations. L’élaboration de pratiques de gestion bénéfique pertinentes, applicables et susceptibles d’être adoptées, ainsi que l’amélioration des modalités de communication entre les décideurs politiques et la communauté agricole, continuent à progresser.

De tous les secteurs économiques, c’est l’agriculture qui offre le plus fort potentiel d’atténuation à court terme, principalement grâce à la séquestration du carbone organique dans les sols agricoles. Il existe trois moyens fondamentaux de tirer parti de cette situation :

En 2022, lors de la négociation du Cadre stratégique pour l’agriculture, Fermiers pour la transition climatique a publié une feuille de route énumérant 19 pratiques de gestion bénéfique susceptibles de réduire les émissions de GES. Ces PGB consistent à proscrire l’élimination des brise-vent, à restaurer les zones humides, à planter des forêts riveraines, à pratiquer le sylvopastoralisme et la culture en bandes croisées, à éviter l’assèchement des zones humides, à gérer les sols (en utilisant des couverts végétaux et des cultures intercalaires), le bétail (en augmentant les légumineuses dans les pâturages, en utilisant le pâturage en rotation, en prolongeant la période de pâturage), l’entreposage et la manutention du fumier (couvertures flottantes synthétiques imperméables, acidification du fumier liquide) et l’azote (4R, meilleure utilisation des sources d’azote organiques, élimination de l’épandage d’azote en automne, amélioration de l’efficacité des engrais azotés, dosage précis de l’azote et détermination quantitative du taux adéquat).

L’agriculture régénératrice est utilisée par certains producteurs agricoles pour accroître la résilience de l’exploitation face aux phénomènes météorologiques extrêmes et séquestrer le carbone dans le sol par des moyens non conventionnels. Les couverts végétaux et le pâturage en rotation pour le bétail pour stimuler la repousse des plantes sont quelques-unes des pratiques utilisées. Les entreprises Cargill, Walmart et General Mills ont toutes commencé à promouvoir l’adoption de pratiques régénératrice.

Certification et différenciation des produits

Au cours des vingt dernières années, des processus de certification des produits agricoles sont apparus spontanément. En général, la certification implique l’attestation, par une tierce partie, qu’un produit ou processus donné est conforme aux normes de durabilité ou d’intensité d’émissions de GES établies par un organisme tel que l’Organisation internationale de normalisation, bien qu’il existe de nombreuses initiatives impliquant de multiples organismes non gouvernementaux et à but non lucratif. Certains mettent l’accent sur des paramètres différents. Par exemple, en raison des inquiétudes quant à la modification de l’affectation des sols à des fins d’exploitation commerciale, la traçabilité de la « déforestation importée » est importante en Europe, et des politiques et certifications ont été élaborées à cet effet dans des pays tels que la France.

La manière de mesurer les GES agricoles a évolué. Les chercheurs mesurent l’évolution de la teneur en carbone organique et les flux de GES des sols agricoles en comparant l’affectation et l’aménagement des terres. De même, des systèmes de mesure et des modèles à la fois empiriques et stochastiques ont été mis au point pour la production animale. Ces mesures peuvent être combinées à une modélisation au niveau régional pour estimer les émissions, puis transposées à plus grande échelle dans des évaluations locales, régionales et nationales.

Des normes et systèmes de certification internationaux, axés sur les terres et le climat, sont en cours de développement. Nombre d’entre eux concernent des cultures spécifiques et visent à éradiquer les produits agricoles non durables en retraçant l’impact de la chaîne d’approvisionnement, du producteur au consommateur. Par exemple, Rainforest Alliance a mis au point des Exigences pour les exploitations agricoles, qui instaurent une norme d’agriculture durable devant être respectée dans la production et la chaîne d’approvisionnement des produits. Un système de certification et d’audit a été mis en place à l’aide d’outils informatiques. Les principales mesures portent sur la fertilité des sols, les ressources en eau et les services écosystémiques, et l’accent est mis sur la productivité des cultures, l’utilisation efficace des intrants et la rentabilité. Les indicateurs sociaux, y compris le respect des droits de la personne des agriculteurs, ainsi que la protection des forêts et des écosystèmes naturels, sont intrinsèquement orientés vers une agriculture intelligente face aux changements climatiques, axée sur l’adaptation et la résilience.

Nouveaux produits et programmes

Au Canada, le Plan de réduction des émissions pour 2030 prévoit notamment de soutenir les agriculteurs. Ce plan inclut un investissement de 470 millions de dollars dans les solutions agricoles pour le climat : le Fonds d’action à la ferme pour le climat encourage les pratiques durables de couverts végétaux, de pâturage en rotation et de gestion des engrais. Un montant de 330 millions de dollars est également alloué au Programme de technologies propres en agriculture, visant à soutenir les équipements à haut rendement énergétique. Ce programme concerne les technologies qui réduisent les émissions et améliorent la compétitivité. L’efficacité énergétique, l’agriculture de précision et les technologies bioéconomiques sont des priorités. 100 millions de dollars sont alloués à la science transformatrice pour développer un secteur durable, axé sur la recherche sur les changements climatiques, le transfert des connaissances et l’élaboration de méthodes de mesure.

Entre 1981 et 2011, l’adoption généralisée de pratiques de gestion bénéfique dans les Prairies canadiennes, comme diminuer le recours au labourage et à la mise en jachère et élargir l’utilisation des couverts végétaux et des systèmes de cultures pérennes plutôt qu’annuelles, a permis de réduire les émissions

Exploitations agricoles intergénérationnelles

Bien que les effets des changements climatiques se fassent d’ores et déjà sentir, les risques sont plus grands pour les générations à venir. L’une des caractéristiques essentielles des fermes familiales est le transfert intergénérationnel, c’est-à-dire la reprise de l’exploitation de génération en génération. Or, un certain nombre de facteurs ont une incidence sur le transfert intergénérationnel au Canada. En premier lieu, le nombre d’exploitations et la population agricole dans le pays diminuent. En 1971, un Canadien sur 14 appartenait à la population agricole; en 2021, cette proportion ne représentait plus qu’un Canadien sur 61. Entre 1966 et 2016, le nombre d’agriculteurs a diminué de 43 %.

En second lieu, la taille moyenne des exploitations agricoles canadiennes est de plus en plus vaste. En 1986, dans les Prairies, les fermes de 10 000 acres et plus représentaient 5 % de l’ensemble des exploitations; en 2016, cette proportion avait augmenté de 19 %. À l’inverse, en 1986, les fermes de 1 à 999 acres représentaient 32 % de l’ensemble des exploitations; en 2016, leur nombre avait chuté de 13 %. Enfin, il est largement admis qu’il y a de moins en moins de gens qui souhaitent se lancer dans l’agriculture et reprendre une exploitation.

Les études montrent que planifier la reprise augmente la possibilité de transmission des fermes entre générations. Vendre à un particulier ou conclure un bail avec un agriculteur locataire est aussi une possibilité. Pour résoudre les difficultés entravant la planification de la reprise des exploitations agricoles, il convient d’être sensible aux enjeux émotionnels qui posent problème; pour que le transfert puisse avoir lieu, l’agriculteur qui prend sa retraite devrait être impliqué dans un plan qui préserve, autant que possible, son identité sociale et ses liens avec d’autres exploitants, ainsi qu’avec sa ferme ou entreprise agro-alimentaire. Cela peut également permettre à l’agriculteur retraité de partager ses connaissances et donner à son successeur de meilleures chances de réussir. Dans le cadre de la reprise d’une ferme, avoir recours à un médiateur ou créer une organisation bénévole d’agriculteurs retraités peut être un moyen de se rendre utile et de limiter les risques liés à la transition. Les modifications de la fiscalité facilitent également les transferts intergénérationnels; elles permettent même de transmettre une exploitation à un enfant par le biais d’un processus échelonné sur trois, ou éventuellement cinq à dix ans, sans que celui-ci ait à y mettre les pieds.

Comme le constatent Qualam et al., « la concentration des terres agricoles fait qu’il est beaucoup plus difficile pour les jeunes et les nouveaux agriculteurs de se lancer dans l’agriculture ». Cette dynamique limite le nombre d’exploitations agricoles transférées entre générations ; les cependant, les obstacles entravant la transmission inter-générationnelle au Canada, aux États-Unis et dans le monde entier existent depuis longtemps. Par ailleurs, d’autres difficultés sont liées à la réticence des agriculteurs à envisager la reprise de leur exploitation en raison d’« enjeux psychologiques » qui, le plus souvent, ne sont pas abordés et incarnent la dimension émotionnelle et sociale de la situation. Un grand nombre d’agriculteurs ne planifient pas leur retraite et/ou la reprise de leur exploitation, car cela signifie pour eux une perte d’identité et s’accompagne du sentiment d’être dépouillé de son statut et son pouvoir . Les jeunes repreneurs se sentent également frustrés par la réticence de leurs aînés à passer le flambeau, car les agriculteurs plus âgés qui s’apprêtent à prendre leur retraite ont tendance à vouloir retenir leurs connaissances et prérogatives, ce qui complique le partage et la diffusion généralisée du savoir . Cette dynamique crée le risque d’un déficit de connaissances pouvant entraver le fonctionnement et la viabilité d’une exploitation agricole familiale.

Action climatique et agriculture

De nombreuses exploitations agricoles canadiennes jouent un rôle de premier plan en prenant des mesures proactives pour lutter contre les changements climatiques. Ainsi, Fermiers pour la transition climatique, une coalition dirigée par des agriculteurs et des éleveurs identifie et propose des solutions pragmatiques pour faire face aux changements climatiques, adopter des pratiques générant de faibles émissions et mettre en place des approches agricoles hautement résilientes. Fermiers pour la transition climatique a également créé un centre d’apprentissage entre agriculteurs pour réduire le coût des intrants, stimuler la productivité et améliorer la santé des sols, baptisé FaRM Resilience Mentorship et accessible sur son site web.

Par ailleurs, Nature Canada propose une boîte à outils axée sur l’agriculture, avec des solutions climatiques fondées sur la nature, notamment des informations sur la replantation et la restauration des champs de culture abandonnés, le pâturage en rotation, la création de zones tampons avec des arbres, des arbustes et des espèces végétales indigènes, la restauration des zones humides et la transformation des terrains d’élevage en champs d’herbes et de végétation indigènes. L’Atlas climatique du Canada procure également des renseignements sur l’évolution passée et future des précipitations et des canicules , tandis que l’Outil de surveillance des sécheresses au Canada fournit des informations en temps réel sur les conditions de sécheresse dans une grande partie du Canada.