6 décembre 2023

Les changements climatiques sont devenus un enjeu crucial pour le commerce de détail


Pour les entreprises, les changements climatiques représentent dorénavant un risque financier important, touchant leurs principales activités et qui exige toute leur attention. Pour les commerces de détail, les changements climatiques créent de multiples risques concernant les dommages potentiels aux actifs corporels, tels que les magasins et entrepôts, la conception des produits et les difficultés de livraison, l’instabilité des chaînes d’approvisionnement et le coût de plus en plus élevé des assurances. De plus, les détaillants sont vulnérables à différents types de risques de transition climatique : les changements de politiques, le risque technologique face à des technologies émergentes qui affectent leur compétitivité, les risques de marché liés à l’évolution des priorités des investisseurs, les risques de litige et d’atteinte à la réputation liés à l’évolution de la perception de la clientèle ou de la communauté .

Risques matériels

Les risques matériels liés aux changements climatiques peuvent être provoqués par des évènements (critiques) ou par des variations à plus long terme (chroniques) liés aux phénomènes climatiques. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui rassemble en consensus plus de 800 scientifiques provenant de 140 pays, a rapporté en 2021 « qu’il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, les océans et les terres », ce qui entraîne de vastes et rapides changements dans l’atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère . Toutes les régions de la planète sont déjà affectées par les changements climatiques et sont de plus en plus soumises à des phénomènes extrêmes, tels que des cyclones, des tempêtes tropicales, des inondations, des vagues de chaleur, de fortes précipitations et, dans certains endroits, de périodes de sécheresse . Sur la planète, chaque demi-degré de réchauffement supplémentaire amplifie la fréquence et l’intensité des évènements critiques et des changements chroniques; et les puits de carbone que constituent les océans et les sols sont de moins en moins efficaces à ralentir l’accumulation du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère .

En 2021, le GIEC a produit, à titre illustratif, une série de cinq nouveaux scénarios d’émissions couvrant l’éventail des futures évolutions possibles: dans chacun d’entre eux, la température de la surface planétaire continue à augmenter au moins jusqu’en 2050 . Les seuils de réchauffement planétaire de 1,5 °C et 2 °C sont dépassés au cours de ce siècle, à moins de réduire radicalement les émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre dans les dix prochaines années . Même en adoptant dès maintenant des scénarios fondés sur de très faibles émissions, il faudra vingt ans pour commencer à voir une différence notable dans la tendance de la température planétaire . De nombreux scénarios sont d’ores et déjà irréversibles et se prolongeront durant des siècles ou des millénaires. Le GIEC conclut que le réchauffement planétaire induit par l’activité humaine doit être au moins limité à zéro émission nette de CO2, et que les émissions d’autres gaz à effet de serre doivent, elles aussi, être fortement réduites .

Le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde . Les températures mondiales moyennes sont déjà 1,1 οC plus élevées que celles de l’ère préindustrielle . Si le rythme de réchauffement actuel se poursuit dans le monde, l’élévation de la température causée par l’activité humaine pourrait atteindre 1,5 °C d’ici dix ans, ce qui aura de graves conséquences pour l’économie, la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau potable, la santé et le bien-être d’innombrables personnes . Selon les Nations Unies (NU), les catastrophes d’origine climatique ont augmenté de 83 % dans le monde entre 2000 et 2020 . La fréquence et la gravité accrues des phénomènes climatiques extrêmes affaiblissent la capacité d’adaptation de la société et son aptitude à supporter le fardeau des coûts de reconstruction et de relèvement après avoir essuyé de lourdes pertes. Au Canada, les températures et précipitations extrêmes contribuent déjà à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité d’évènements critiques, tels que des inondations, des ondes de tempête, des feux de forêt, des ouragans, des vagues de chaleur et des périodes de sécheresse . En 2020, les importants dégâts causés par les intempéries au Canada ont entraîné 2,4 milliards de dollars canadiens de pertes assurées .

Les cours d’appel canadiennes ont confirmé que les changements climatiques représentent une menace existentielle à la civilisation humaine et à l’écosystème mondial dont le coût économique et humain est considérable . La Cour suprême du Canada a estimé que l’établissement de normes nationales minimales garantissant la rigueur de la tarification des GES pour réduire les émissions est un enjeu majeur pour le pays dans son ensemble .

Qu’est-ce que cela signifie pour les détaillants canadiens? Des variations extrêmes de température peuvent endommager les établissements de commerce de détail, d’entreposage et de distribution et en empêcher l’accès. Les évènements critiques peuvent perturber les activités d’exploitation, les chaînes d’approvisionnement, la logistique et mettre les employés en péril. Le Bureau d’assurance du Canada rapporte que les inondations affectant le pays entraînent des pertes économiques annuelles de plus de 1,2 milliard de dollars canadiens, dont 800 millions ne sont pas assurées . Si les évènements critiques continuent à ce rythme, le coût des assurances deviendra prohibitif pour certaines entreprises et il se peut que certaines zones à haut risque ne soient plus assurables. Selon un rapport de S&P en 2019, le climat constitue déjà un important facteur de variation dans les résultats des commerces de détail .

Les commerces de détail sont confrontés à d’importants effets indirects, liés aux perturbations des chaînes d’approvisionnement, à l’incertitude concernant la disponibilité et le prix des matières premières menacées, ainsi qu’à l’accessibilité et la qualité de l’eau. Les risques auxquels font face les détaillants canadiens s’accentuent lorsqu’un grand nombre de leurs fournisseurs se trouvent dans des pays encore plus durement touchés par les changements climatiques, car cela limite la disponibilité des matières premières . Les risques climatiques influencent la gestion des chaînes d’approvisionnement, car ils font augmenter les coûts de production des biens et services et amplifient la variabilité de ces coûts; ils perturbent la rapidité et la ponctualité de la livraison des biens et de la prestation des services, accentuent l’incertitude et aggravent l’ampleur des perturbations des chaînes d’approvisionnement . Selon la région du Canada ou du monde où les détaillants acquièrent leurs produits, il y a des risques liés à la sécheresse et à l’augmentation du coût d’intrants tels que la production agricole et l’accès à l’eau salubre pour la fabrication d’aliments, de boissons et de vêtements.

Les évènements critiques peuvent entraver l’accès des détaillants aux matières premières et à l’approvisionnement énergétique. Ainsi, les rivières atmosphériques et inondations qui ont dévasté la Colombie-Britannique en novembre 2021 ont perturbé les chaînes d’approvisionnement dans tout l’ouest du Canada, rendant notamment impraticables deux lignes ferroviaires et quatre axes de transport routier majeurs et « laissant les camionneurs immobilisés, les rayons d’alimentation des épiceries vides, et l’accès au plus grand port du pays bloqué » . Le même mois, à Terre-Neuve-et-Labrador, des segments de la Route Transcanadienne ont été emportés par les tempêtes et les détaillants ont eu des difficultés à transporter leurs marchandises à travers la province . Les risques matériels chroniques, tels que l’élévation des températures ou le changement des régimes de précipitation, peuvent altérer le rendement agricole et dégrader les infrastructures .

La hausse des températures entraîne l’apparition de maladies dans des régions qui n’y avaient jamais été exposées auparavant, car le réchauffement favorise leur propagation; les risques varient en fonction de la pathologie, de la région, de l’ampleur du changement de température et du degré d’adaptation . Avec un réchauffement de 1,5 °C, on prévoit un risque accru de certaines maladies à transmission vectorielle, et notamment un déplacement de leur expansion géographique . Outre leurs effets dévastateurs sur les gens, les maladies zoonotiques (transmissibles de l’animal à l’homme) peuvent aussi limiter les ressources de la chaîne d’approvisionnement (matériaux et main d’œuvre) et les pandémies qui en résultent peuvent sérieusement restreindre le pouvoir d’achat des consommateurs. Le développement urbain et les changements climatiques sont aussi considérés comme des facteurs croissants de transmission des maladies zoonotiques. Aux États-Unis, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies estiment que trois quarts des pathologies nouvelles ou émergentes infectant les humains sont d’origine animale .

Une étude souligne qu’« une évaluation structurée de la chaîne d’approvisionnement peut aider les entreprises à donner la priorité aux éléments sensibles, les plus susceptibles de créer une capacité de résilience, notamment dans les domaines à fortes émissions de GES et les zones de haute vulnérabilité climatique. Ces éléments prioritaires constituent les points identifiables d’une chaîne d’approvisionnement où l’efficacité de la gestion des risques climatiques aura une influence sur les inquiétudes relatives à l’approvisionnement, liées au coût, à la rapidité, à la qualité et à l’incertitude » . Cette étude suggère un certain nombre d’initiatives concernant l’approvisionnement :

Il est également important de fixer des objectifs et de commencer à faire un suivi quantitatif des progrès, ou si cela n’est pas encore possible, un suivi qualitatif. Ainsi, les commerces d’alimentation et de boissons et les entreprises agricoles peuvent établir des objectifs visant à former les agriculteurs aux pratiques de culture durables, ou à investir dans la recherche et le développement pour inciter les fournisseurs à créer des plantes résistantes à la sécheresse . Les détaillants peuvent ensuite évaluer les résultats et ajuster ces initiatives et objectifs au fur et à mesure, tout en effectuant des évaluations qui aideront l’entreprise à comprendre le résultat et l’impact de ses initiatives de réduction des risques matériels climatiques.

Dans un avenir proche, les risques matériels pour le secteur du commerce de détail vont continuer à augmenter et les entreprises, outre contribuer aux efforts pour réduire les émissions de carbone, devront déterminer leurs stratégies d’adaptation. Dans de nombreux cas, les effets matériels chroniques à long terme sur le marché du commerce de détail, comme l’impact sur les employés et les clients des vagues de chaleur successives et de la pollution croissante créées par le réchauffement climatique ou l’évolution à long terme de la disponibilité d’intrants essentiels aux chaînes d’approvisionnement, sont encore inconnus.

Risques de transition

Les émissions de carbone jouent un rôle essentiel dans l’augmentation de la température dans le monde; en tant que telles, elles constituent le principal point de convergence des interventions réglementaires et commerciales . Faire la transition vers une économie à zéro émission nette impliquera de vastes changements politiques, juridiques, technologiques et commerciaux pour que l’atténuation et l’adaptation requises se concrétisent. Les mesures « d’atténuation » des effets climatiques font référence aux efforts visant à diminuer les sources de GES afin de réduire les émissions effectives ou à augmenter l’absorption des gaz déjà émis et limiter ainsi l’amplitude du réchauffement à venir . Les mesures « d’adaptation » font référence aux ajustements des systèmes écologiques, sociaux ou économiques face aux effets climatiques, et notamment aux processus et structures mis en place pour mitiger les dégâts potentiels ou tirer parti des opportunités associées aux changements climatiques . Les régions, les entreprises et les communautés les plus vulnérables sont celles qui sont les plus exposées aux effets dangereux des changements climatiques et dont la capacité d’adaptation est restreinte . Les pays dont les moyens économiques sont limités, les technologies insuffisamment développées et l’accès aux ressources inéquitable ont une faible capacité d’adaptation et sont très vulnérables.

Les détaillants font face à des problèmes cruciaux, comme la pression accrue exercée par leur clientèle et les autorités réglementaires pour diminuer leur empreinte carbone, gérer efficacement les déchets, éliminer les plastiques à usage unique et mettre sur pied des chaînes d’approvisionnement éthiques.

Risques liés aux politiques

Les mesures politiques concernant les changements climatiques continuent à évoluer, ce qui inclut l’engagement international du Canada à atteindre zéro émission nette d’ici 2050, à mettre en place des mécanismes de tarification du carbone pour réduire les émissions de GES, à opter pour des sources d’énergie générant moins d’émissions, à adopter des solutions énergétiques efficientes, à encourager des mesures plus efficaces pour économiser l’eau et à promouvoir des pratiques d’exploitation des sols plus durables . Comme discuté dans la partie III.2, les autorités réglementaires canadiennes ont proposé de nouveaux règlements exigeant aux entreprises de faire preuve de transparence quant aux mesures prises pour atteindre zéro émission nette. Les détaillants doivent comprendre et gérer l’évolution des exigences en matière de politiques. Un expert du commerce de détail fait observer que les entreprises manifesteront plus d’empressement à atténuer les changements climatiques si les gouvernements mettent en place une réglementation plus exigeante, les obligeant à se conformer; cependant, il faut parfois des années pour qu’une loi entraîne un changement en profondeur, et cela exige de veiller étroitement au respect des normes, et ce, même lorsque la législation est en place, car les entreprises peuvent décider d’observer uniquement aux exigences minimales.

L’évolution des politiques porte notamment sur la tarification du carbone. Depuis 2019, chaque administration canadienne fixe un prix pour les émissions de carbone, fondé sur un modèle fédéral minimal et permettant aux provinces et aux territoires d’utiliser le système fédéral de tarification ou d’adopter leur propre système de tarification en fonction du contexte local, mais en se conformant à des normes nationales minimales en termes de rigueur . Le but de la tarification du carbone est d’obliger les entreprises à internaliser le coût de leurs émissions afin de les inciter à les diminuer.

Au Canada, la Loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité exige d’établir des objectifs nationaux de réduction des émissions de GES fondés sur les informations scientifiques les plus fiables disponibles, de promouvoir la transparence, la reddition de comptes et les efforts en vue d’atteindre zéro émission nette d’ici 2050 . Le gouvernement du Canada doit définir des cibles nationales de réduction d’émissions à cinq ans d’intervalle, pour 2030, 2035, 2040 et 2045 . Il doit élaborer des plans de réduction des émissions de GES comportant des objectifs, des stratégies et une évaluation des progrès, et doit prendre en considération la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) . La loi a des implications pour les entreprises de détail qui approvisionnent les gouvernements.

Lors de la Conférence des parties organisée par les Nations Unies en novembre 2021 (COP26) à Glasgow, 103 pays ont promis de réduire leurs émissions de méthane de 30 % d’ici à 2030 et ont signé l’engagement mondial sur le méthane; parmi eux, le Canada . Le méthane est responsable d’environ 30 % de la hausse des températures dans le monde à ce jour et représente approximativement 13 % des émissions totales de GES au Canada . La réduction des émissions de méthane provenant du secteur gazier et pétrolier sera une priorité, mais l’agriculture et les sites d’enfouissement sont parmi les plus grosses sources d’émissions. Compte tenu de ces objectifs ambitieux, les agriculteurs canadiens et leurs partenaires du secteur devront prendre des mesures pour réduire leurs émissions, séquestrer le carbone et adopter un mode exploitation plus durable, ce qui aura des répercussions sur les chaînes d’approvisionnement de l’industrie alimentaire.

D’une manière plus générale, l’évolution des politiques et de réglementations relatives aux questions environnementales risque aussi d’affecter les détaillants. La production de plastiques a une forte empreinte carbone. Le Forum économique mondial rapporte que la moitié de la production mondiale de plastiques concerne des objets à usage unique et que moins de 10 % des déchets plastiques jamais produits ont été recyclés . Dans le monde, plus de 150 millions de tonnes de ces déchets se retrouvent dans les sites d’enfouissement tous les ans et polluent chaque fois plus nos rivières, nos fleuves et nos océans sous la forme de microplastiques et de détritus . Selon le gouvernement du Canada, les Canadiens jettent 3 millions de tonnes de déchets plastiques tous les ans, dont seulement 9 % sont recyclés, ce qui signifie que la grande majorité des plastiques se retrouve dans les sites d’enfouissement et qu’environ 29 000 tonnes par an polluent notre environnement naturel . La plupart des emballages plastiques sont fabriqués à partir de pétrole et de gaz, et sont donc sources de GES, depuis leur production jusqu’à leur enfouissement . En avril 2021, l’agence de notation Moody’s a averti que, faute de parvenir à diminuer la quantité de plastiques, le cours des actions des supermarchés en paiera les conséquences, eu égard aux inquiétudes environnementales et sanitaires que cela suscite .

En mai 2021, le gouvernement fédéral a émis un décret permettant de bannir certains objets à usage unique, ajoutant ainsi les articles fabriqués à partir de plastique à l’Annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement . Cela permet au gouvernement de prendre les mesures réglementaires permettant au Canada d’atteindre l’objectif de zéro déchet plastique et de bannir les plastiques toxiques à usage unique, lorsque cela est justifié et étayé par des données scientifiques, et d’établir des exigences minimales de recyclage . Diminuer les plastiques et maintenir les matériaux dans un cycle d’économie circulaire permet de réduire les émissions de GES . Les municipalités adoptent également des arrêtés pour réduire les plastiques à usage unique et autres déchets .

Au niveau fédéral, provincial, territorial et municipal, les administrations collaborent dans le cadre de plans d’action nationaux pour la responsabilité élargie des producteurs (REP) afin d’améliorer la gestion des produits en fin de vie, notamment en transformant des initiatives de gérance des produits en programmes de REP à part entière, comme le retour des bouteilles, des cintres pour vêtements et des emballages . Les programmes RPE considèrent que la responsabilité de la gestion des produits en fin de vie utile incombe aux producteurs ; cependant, ces coûts peuvent être transférés aux détaillants, qui doivent alors les répercuter dans le prix des biens et des services vendus. Les secteurs du commerce de détail et de la production ont ainsi travaillé avec les administrations à la création de programmes de REP cohérents et à l’établissement d’objectifs de collecte et de recyclage des plastiques et d’exigences relatives au contenu recyclé . Les programmes de gérance des produits et de REP peuvent donner lieu à des redevances environnementales provinciales ou municipales, qui ont un impact sur les prix de détail, mais sont considérées comme un élément essentiel de l’économie circulaire. Les provinces élargissent les programmes de REP existants afin d’englober d’autres matériaux, notamment les textiles, le papier et les emballages en carton.

En matière de politiques, un autre risque auquel sont exposés les commerces de détail est d’être sanctionnés pour « écoblanchiment » . Au Canada, la Loi sur la concurrence interdit les pratiques commerciales fallacieuses et sanctionne les sociétés qui donnent au public des indications fausses ou trompeuses sur un aspect important de leurs produits à des fins de promotion . La Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation exige que l’étiquetage des produits de consommation non alimentaire procure des renseignements exacts et explicites et interdit de donner des informations fausses ou trompeuses aux consommateurs . La Loi sur l’étiquetage des textiles exige que l’étiquetage apposé sur un article textile de consommation contienne des renseignements exacts et interdit de donner des informations fausses ou trompeuses . Le Bureau de la concurrence du Canada a averti les sociétés que si elles présentaient leurs produits et services comme ayant plus d’avantages environnementaux qu’ils n’en ont réellement, cela pourrait être considéré comme de l’écoblanchiment, ce qui est illégal . Les entreprises doivent éviter les indications vagues telles qu’« écologique » ou « sans danger pour l’environnement », et le Bureau de la concurrence interviendra en cas d’infraction à la Loi sur la concurrence, la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation et la Loi sur l’étiquetage des textiles lorsque les déclarations environnementales sont fausses, trompeuses ou non fondées sur des épreuves suffisantes et appropriées . Avant de faire des déclarations environnementales concernant leurs produits, les détaillants doivent donc s’assurer que celles-ci sont exactes et précises quant aux avantages pour l’environnement . Ne pas le faire pourrait déboucher sur des sanctions réglementaires et une sérieuse atteinte à leur réputation.

Aux États-Unis, la Federal Trade Commission (Commission fédérale du commerce) a publié des guides verts à l’intention des détaillants, leur fournissant une orientation sur l’utilisation par les commerçants des certifications de produits et sceaux d’approbation, des déclarations concernant les matériaux et sources d’énergie ainsi que les compensations des émissions de carbone . Elle énumère ainsi plus de vingt cas d’écoblanchiment. À titre d’exemple, Nordstrom, Bed Bath & Beyond, Backcountry.com LLC et J C Penney ont été condamnés à payer des amendes d’un montant total de 1,3 million de dollars américains pour avoir étiqueté des textiles en rayonne comme étant fabriqués à partir de bambou .

Pour les détaillants ayant une activité internationale, il est important de savoir que les autorités de réglementation cherchent à limiter l’écoblanchiment à travers divers règlements, tels que la Taxinomie de pour les activités durables , les Lignes directrices sur la présentation d’informations relatives aux changements climatiques, le Règlement sur la divulgation des informations relatives à la finance durable visant à décourager l’écoblanchiment dans le secteur financier , et la proposition de directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises de l’Union européenne (UE) . L’UE a également introduit le principe de « double importance relative », demandant aux gestionnaires d’évaluer comment les questions de durabilité affectent l’activité de l’entreprise et les conséquences de ses actions sur les personnes et la planète . En novembre 2021, la Commission européenne a présenté son projet d’introduire des exigences obligatoires pour les produits vendus sur le marché de l’UE afin de s’assurer qu’ils ne contribuent pas à la déforestation ou à la dégradation des forêts . Depuis 2021, les entreprises doivent recueillir des renseignements sur les produits qu’elles commercialisent sur le marché de l’UE afin de confirmer qu’ils ne sont pas liés à la déforestation, notamment en prenant « des mesures d’atténuation adéquates et proportionnées, telles que recourir à des outils de surveillance satellite, mener des audits sur le terrain, renforcer les capacités des fournisseurs ou procéder à l’analyse des isotopes » pour vérifier l’origine des produits .

La France a mis en œuvre une loi relative au devoir de vigilance des sociétés visant les grandes entreprises françaises et exigeant la publication d’un plan annuel de vigilance . Ce plan doit inclure des mesures raisonnables permettant d’identifier les risques et de prévenir les atteintes graves contre les droits humains et les dégâts environnementaux résultant directement ou indirectement de l’activité de l’entreprise, de ses sous-traitants et des fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale bien établie . Ces mesures incluent une cartographie des risques et un système permettant de vérifier leur efficacité. Un tribunal peut ordonner à une entreprise de se conformer à son obligation de vigilance, et notamment lui intimer d’élaborer un plan de vigilance, d’améliorer ses mesures de vigilance, ou lui imposer une amende pour chaque jour où il y aura eu non-conformité . La loi prend également en compte la responsabilité civile; les individus lésés peuvent lancer des poursuites civiles afin d’exiger des dommages-intérêts à une entreprise qui aurait failli à son devoir de vigilance, alors que les dommages auraient pu être évités si elle s’y était conformée. Depuis que cette loi a été adoptée en 2017, on compte huit cas invoquant des infractions .

En Allemagne, la Loi relative à l’obligation de diligence des sociétés à l’égard des chaînes d’approvisionnement (Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz) entrera en vigueur en janvier 2023 . Elle oblige les entreprises de 3000 employés ou plus à prendre des mesures appropriées vis-à-vis de leurs chaînes d’approvisionnement « pour prévenir ou limiter les risques liés aux droits humains ou à l’environnement ou mettre fin aux violations dans ce domaine » . Les entreprises doivent mettre sur pied un système de gestion des risques, définir les responsabilités internes en matière de conformité, procéder régulièrement à l’analyse des risques, mettre en œuvre des mesures préventives au sein même de l’entreprise et de ses filiales si la société mère exerce une influence sur ses fournisseurs directs, prendre des mesures correctives en cas d’infraction avérée ou imminente, établir une procédure interne de réclamation et adopter des procédures concernant l’obligation de diligence eu égard aux risques associés aux fournisseurs indirects, qui seront appliquées si la société a connaissance d’une infraction, preuves à l’appui. Le non-respect de ces exigences peut donner lieu à des amendes s’élevant jusqu’à 800 000 €.

Les autorités règlementaires commencent également à exiger aux entreprises qu’elles se dotent de plans de transition. Le gouvernement du Royaume-Uni (R-U) a ainsi annoncé que la publication des plans de transition serait incorporée aux exigences nationales de divulgation en matière de durabilité; en outre, les critères seront renforcés pour encourager l’harmonisation et l’adoption des plans publiés d’ici 2023 . Le GIFCC a publié une orientation concernant ces plans de transition, abordée dans la partie IV.2.

Pour les détaillants canadiens implantés sur les marchés européens, comprendre les évolutions de la règlementation est d’importance cruciale, mais de telles règlementations sont actuellement envisagées dans un grand nombre d’autres pays à travers le monde, ce qui aura un effet direct sur les chaînes d’approvisionnement. Au Canada, les législateurs s’intéressent à toutes ces évolutions internationales dans le but de renforcer le cadre règlementaire canadien d’atténuation et d’adaptation climatique.

Risques de marché

Selon la Banque du Canada, « les changements climatiques laissent présager une évolution structurelle, potentiellement à grande échelle, qui affectera l’économie et le système financier » . En effet, les prêteurs prennent de plus en plus en considération les risques climatiques lorsqu’ils envisagent d’avancer des fonds aux détaillants. Les changements climatiques peuvent donc entraîner une réévaluation inattendue des actifs adossés aux titres de créance et de participation .

Dans le commerce de détail, la difficulté est que certaines parties du secteur sont confrontées à une réalité où les marges bénéficiaires sont sous haute pression et par conséquent, investir dans le développement durable risque d’être simplement perçu comme un coût supplémentaire, au détriment du rendement. En Amérique du Nord, les dix dernières années ont été axées sur la réduction des coûts et sur l’efficacité, car l’intensité de la concurrence et le fardeau lié à la numérisation ont exigé d’énormes investissements en capitaux, sans retour immédiat. Bien qu’un grand nombre des leaders de la vente au détail reconnaissent la valeur et l’importance de ces initiatives de réduction des émissions sur le plan humain, ils ont du mal à convaincre les hauts dirigeants et les membres des conseils d’administration. Et pourtant, le marché dans son ensemble indique qu’un plan climatique ambitieux présente des avantages financiers, concurrentiels et de réputation.

Des investisseurs détenant plus de 121 billions de dollars américains d’actifs ont signé les Principes d’investissement responsable (Principles of Responsible Investment ou PRI), en vertu desquels ils s’engagent à intégrer les questions ESG à leurs décisions de placement . Des recherches réalisées par le cabinet comptable PwC montrent également que 77 % des investisseurs institutionnels ont l’intention de cesser d’acheter des produits non ESG d’ici 2022 . Lors de la COP26, près de 500 institutions financières représentant plus de 130 billions de dollars américains sous gestion se sont engagées à financer la transition vers zéro émission nette . Elles ont pris l’engagement d’harmoniser leurs portefeuilles de créances et d’actions en investissant dans les commerces de détail et autres entreprises qui prennent des mesures significatives pour décarboniser leur activité. Les commerces de détail et autres sociétés doivent avoir conscience de ces évolutions concernant les sources de capitaux et des possibles opportunités.

BlackRock, qui gère 3,6 billions de dollars américains de placements en valeurs mobilières, dont 275 milliards de dollars canadiens en actifs au Canada, détient ses plus gros investissements chez des détaillants tels que Apple Inc, Microsoft Corporation et Amazon.com . Dans sa lettre adressée en 2021 aux sociétés de portefeuille, le directeur général de BlackRock, Larry Fink, déclare :

Nulle entreprise n’est à l’abri d’une profonde transformation de son modèle économique par la transition vers une économie à zéro émission nette… À mesure que s’accélère le processus de transition, les entreprises dotées d’une stratégie à long terme bien définie et d’un plan clair pour assurer la transition vers l’objectif de zéro émission nette se distingueront auprès de leurs parties prenantes (clients, pouvoirs publics, salariés et actionnaires) en leur inspirant confiance dans leur capacité à gérer cette transformation mondiale. Mais les entreprises qui tardent à se préparer verront leurs activités souffrir et leurs valorisations diminuer à mesure que ces mêmes parties prenantes perdent confiance dans la capacité de ces entreprises à adapter leurs modèles économiques aux changements spectaculaires qui s’annoncent… nous demandons aux entreprises de publier un plan indiquant comment leur modèle économique sera compatible avec une économie à zéro émission nette, – c’est-à-dire une économie dans laquelle le réchauffement climatique est limité à un niveau très inférieur à 2 °C, conformément à l’objectif mondial de réduction à zéro des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2050. Nous vous demandons de préciser la façon dont ce plan est intégré à votre stratégie à long terme et évalué par votre conseil d’administration .

En 2020, Blackrock s’est concentrée sur un univers de 440 entreprises menant des activités à forte intensité de carbone et représentant environ 60 % des émissions mondiales de périmètres 1 et 2 produites et a voté contre 64 administrateurs pour 69 de ces 440 entreprises, plaçant 191 d’entre elles « sous surveillance » et étendant cet univers à plus de 1000 entreprises en 2021 . Blackrock a déclaré qu’en l’absence de progrès significatifs dans la gestion et la communication des risques liés au climat, y compris en ce qui concerne leurs plans de transition vers une économie à zéro émission nette, ces entreprises s’exposent à des votes contre leurs administrateurs .

Les institutions financières procèdent également à une réorientation de leurs portefeuilles de créances, ce qui peut avoir des conséquences sur l’accès aux capitaux. Selon un rapport publié en 2021 par DBRS Morningstar, l’émission de titres de créance durables dans le monde, qui inclut les obligations et prêts verts et liés à la durabilité, est passée de moins de 100 milliards de dollars américains en 2015 à 730 milliards en 2020 . Au Canada, les prêts liés à la durabilité sont en augmentation. Ainsi, en 2019, Les Aliments Maple Leaf Inc ont accepté de modifier leurs facilités de crédit existantes avec BMO Groupe financier, ce qui « permettra à la société Maple Leaf de diminuer le taux d’intérêt sur ses facilités de crédit si elle atteint ses objectifs de consommation d’eau et d’électricité, de réduction de déchets solides et continue à diminuer ses émissions de carbone pour atteindre la neutralité carbone » . Plus d’une douzaine d’entreprises canadiennes ont fait de même, et le marché canadien des obligations durables devrait atteindre 20 milliards de dollars canadiens cette année . Un autre exemple est Teck Resources Limited, qui a obtenu des facilités de crédit renouvelable liées à la durabilité de 4 milliards de dollars américains en 2021, en vertu desquelles « le prix payé par Teck augmentera ou diminuera en fonction de la performance de l’entreprise en matière de réduction des émissions de carbone, de renforcement de la santé et la sécurité et d’augmentation de la diversité de genre au sein de son personnel » . Ces facilités de crédit sont alignées sur l’objectif de Teck de réduire ses émissions de carbone de 33 % d’ici à 2030 et d’atteindre la neutralité carbone dans ses activités d’exploitation d’ici à 2050 .

Le rapport 2020 du CDP sur la chaîne d’approvisionnement révèle qu’environ 94 % des entreprises ayant des objectifs fondés sur des données scientifiques incluent les émissions du champ d’application 3 . L’établissement d’objectifs de réduction des émissions le long de la chaîne de valeur (champ d’application 3) est en passe de devenir une nouvelle norme du monde de l’entreprise . Les détaillants peuvent réduire les émissions de la chaîne d’approvisionnement en optimisant leurs propres processus de production, en faisant des choix différents pour favoriser les produits ou services à faibles émissions, notamment en se fournissant auprès d’entreprises dont l’empreinte carbone est faible et en collaborant avec ces fournisseurs tout au long de la chaîne de valeur pour diminuer les émissions .

Alors que la mobilisation vis-à-vis des facteurs ESG prend une ampleur croissante, notamment au niveau de la gestion des risques climatiques, un sondage révèle que six investisseurs institutionnels sur dix estiment que l’écoblanchiment constitue le principal motif d’inquiétude concernant l’intégration de ces facteurs aux décisions d’investissement . À ce jour, le manque d’informations fiables et normalisées sur les facteurs ESG complique l’évaluation de la qualité des mesures prises dans ce sens . L’élaboration de normes comptables mondiales de durabilité, abordée dans la partie III.3, permettra de commencer à mitiger considérablement ce risque.

En réalité, le secteur du commerce de détail est exposé à un risque de marché aussi important que les changements climatiques, à savoir : l’essor de ce que Doug Stephens appelle « les détaillants superprédateurs », tels qu’Amazon, Alibaba, JD.com et Walmart. Depuis le début de la pandémie, ceux-ci ont tous augmenté massivement leur part de marché et accéléré leur implantation dans le secteur bancaire, financier et de l’assurance, qui s’inscrit dans le cadre d’une « expérience de consommation de détail intégrée » , un thème qui dépasse largement la portée du présent guide. Il convient néanmoins de souligner que la manière dont les entreprises canadiennes gèrent ces vastes transformations du marché recoupe la manière dont elles relèvent les défis et opportunités associés aux changements climatiques.

Risques technologiques

Les risques technologiques pour le commerce de détail sont significatifs. Les innovations technologiques soutenant la transition vers un système économique à zéro émission nette, efficace sur le plan énergétique auront un effet déterminant sur le secteur. Le développement et l’utilisation des technologies émergentes, telles que les énergies renouvelables, les batteries de stockage de l’énergie et la réduction des déchets affecteront la compétitivité, les coûts de production et de distribution et la demande de produits et services de la part des consommateurs . Le virage radical effectué ces deux dernières années en faveur du commerce de détail en ligne exige de nouvelles technologies de marketing et de distribution des biens et remet en cause les anciennes pratiques.

Une étude réalisée en 2021 par le MIT révèle que :

Durant les 25 dernières années, aucune catégorie d’actifs liés aux placements immobiliers n’a connu une transformation aussi vaste que celle du secteur du commerce de détail en raison des progrès technologiques, des innovations portant sur la chaîne d’approvisionnement et de l’évolution de plus en plus rapide du comportement des consommateurs. Alors qu’auparavant les consommateurs affluaient vers les centres commerciaux de banlieue et les magasins de quartier en ville, le commerce en ligne – associé à la capacité de livrer le jour suivant – a complètement modifié notre manière de faire des achats. À travers le monde, les changements climatiques, qui coïncident avec cette transformation, ont maintenant atteint le point où leur impact sur notre environnement, notre économie et notre résilience en tant que société ne fait plus aucun doute. La question que nous devons à présent nous poser est de savoir lesquels de ces comportements de consommation entraînent le moins d’émissions et sont préférables pour le monde dans lequel nous vivons.

De nouvelles technologies sont en cours de développement et de déploiement pour faire baisser les émissions de GES, notamment l’électrification des flottes de livraison, les drones et les véhicules autonomes, même si cela doit se faire en conjonction avec les services postaux et autres, qui couvrent déjà un large périmètre de livraison . La manière dont les colis sont emballés ou retournés peut permettre d’immenses réductions d’émissions; s’agissant du commerce en ligne classique et des stratégies de vente au détail combinées, le MIT signale que les cartons sont parmi les polluants qui génèrent le plus de carbone dans l’écosystème et que leur retrait peut permettre aux commerces de détail de réaliser certaines des réductions d’émissions les plus significatives, représentant jusqu’à 36 % de l’ensemble des émissions produites par le commerce en ligne . Selon le MIT, réduire de 80 % les boîtes en carton utilisées dans le commerce en ligne et les remplacer par des sacs en papier permettrait de réduire de 50 % les GES excédentaires attribuables au renvoi de marchandises . Lorsque les détaillants prennent conscience du carbone contenu dans les emballages, c’est l’occasion pour eux de faire des choix différents en utilisant soit du plastique, soit du carton, soit des matériaux 100 % recyclés . Il y a à la fois des opportunités et des risques associés à la logistique nécessaire pour transporter les produits depuis les fournisseurs jusqu’aux entrepôts, magasins de détail et consommateurs . En effet, le commerce de détail est étroitement lié aux émissions générées par le coûteux transport des produits, qui constitue une importante source de GES .Certaines avancées technologiques permettront de réduire les émissions, comme le groupage des colis, l’utilisation de casiers dans un endroit centralisé pour la dernière étape de livraison afin de réduire l’empreinte carbone du « dernier kilomètre », et le choix d’emplacements mieux situés à partir desquels distribuer les colis . L’étude du MIT rapporte également que des technologies avancées telles que Reality Capture et Image Recognition peuvent permettre aux clients de mieux estimer les dimensions des produits avant l’achat, ce qui minimisera les renvois de marchandises et donc, l’empreinte carbone .Dans la période postpandémique, on ignore dans quelle mesure les consommateurs reviendront dans les magasins, mais il ne fait aucun doute que les achats effectués en personne suivront l’évolution des technologies numériques émergentes qui sont en compétition avec l’expérience client en ligne, parmi lesquelles : les achats numériques en magasin, les chariots de supermarché autonomes qui suivent le consommateur dans le magasin et la collecte à l’auto. On observe également une évolution de l’offre et de la demande de technologies répondant aux attentes du consommateur en matière de facilité et de responsabilité d’achat et de capacité à consulter en temps réel les renseignements concernant l’empreinte carbone des articles proposés dans le magasin.

Risques d’atteinte à la réputation

Les changements climatiques sont de plus en plus liés au risque d’atteinte à la réputation; en effet, la perception des consommateurs et des communautés vis-à-vis des efforts ou du désengagement d’un détaillant par rapport à la transition vers une économie à zéro émission nette peut changer. Les détaillants font face à l’évolution rapide des préférences des consommateurs et mettent leur réputation en jeu si leurs stratégies commerciales ne s’attaquent pas aux changements climatiques. Dans le secteur de l’alimentation de détail, les consommateurs pressent de plus en plus les détaillants à limiter l’utilisation de plastiques à usage unique, à passer de matériaux recyclables à des matériaux réutilisables et à prévenir le gaspillage et la détérioration des aliments . Les générations dont le pouvoir d’achat s’accroît, comme la génération du millénaire, la génération Z et, bientôt, la génération alpha sont très inquiètes face aux changements climatiques et à la gestion des déchets ; elles sont plus susceptibles d’accueillir le marketing vert des détaillants avec scepticisme et de chercher des informations qui confirment leurs déclarations . Le sondage sur la consommation alimentaire 2021 réalisé par le cabinet comptable Deloitte, révèle que 71 % des consommateurs canadiens se préoccupent de la provenance de leur nourriture pour des raisons de santé, d’éthique et d’empreinte carbone ; de plus, 61 % s’inquiètent de la quantité excessive d’emballages utilisée dans le secteur de détail . Il y a un risque croissant d’atteinte à la réputation lié à la vente de produits d’origine animale à fortes émissions de carbone et associés à la déforestation et au changement de l’utilisation des sols .

Les consommateurs exigent le changement, et les générations Z et du Millénaire sont en première ligne. Le Stern’s Center for Sustainable Business de l’Université de New York a mené des recherches exhaustives sur les biens de consommation courante achetés par les Américains, en se fondant sur les codes-barre des produits; il s’est avéré qu’entre 2013 et 2018, la moitié de la croissance des ventes de biens de consommation courante est attribuable aux produits commercialisés comme durables . Les produits bénéficiant d’un label de durabilité représentaient 16,6 % du marché en 2018, soit 14 milliards de dollars américains de ventes . La croissance des ventes de produits commercialisés comme durables a été 5,6 fois plus rapide que celle des autres produits .

Les risques d’atteinte à la réputation s’accompagnent également d’opportunités. Une étude réalisée par IBM et la National Retail Federation révèle que 40 % des consommateurs sont motivés et prêts à payer plus pour des produits et services en accord avec leurs valeurs, notamment réduire les effets du climat et soutenir le développement durable . En outre, 77 % des consommateurs veulent des produits durables et respectueux de l’environnement, et sont en faveur du recyclage; 72 % cherchent des ingrédients naturels; et 71 % sont prêts à payer plus pour des marques qui ont des pratiques durables, prennent leurs responsabilités vis-à-vis de l‘environnement et surveillent la traçabilité de leurs produits. Parmi les générations Z et du Millénaire, près de 80 % des consommateurs ont acheté ou souhaitent acheter des produits d’occasion et sont de plus en plus nombreux à essayer la location de produits . IBM et la National Retail Federation ont découvert que 90 % des consommateurs connaissent les nouvelles technologies d’achat et sont disposés à essayer les derniers outils répondant à leurs besoins .

Une partie croissante des consommateurs attend des détaillants qu’ils s’efforcent de réduire leurs émissions de carbone et ce, de façon juste et équitable pour un ensemble plus vaste d’employés, de clients, de fournisseurs et de distributeurs, tout en intégrant les notions de diversité, d’équité et d’inclusion dans leurs plans d’action climatique. Le risque pour les commerces de détail qui ne prennent pas en compte les facteurs ESG est significatif, car les employés et les clients veulent des entreprises ayant le sens de l’éthique et de la responsabilité .

Selon un sondage mené en 2020 auprès de 3000 personnes dans huit pays, 70 % des participants ont déclaré être aujourd’hui plus conscients qu’avant la pandémie du fait que l’activité humaine favorise les changements climatiques et menace la planète et donc l’espèce humaine . Plus des deux tiers des participants ont répondu que les plans de relance économique devraient donner la priorité aux questions environnementales, et 87 % ont estimé que les commerces de détail devraient donner à ces questions une place beaucoup plus importante que par le passé dans leurs produits, services et activités d’exploitation.

De même, en 2020, plus de 100 entreprises ont signé une déclaration dans laquelle elles reconnaissent que la pandémie et les crises climatiques sont interconnectées et doivent être gérées conjointement, s’engagent à délaisser les carburants fossiles et à investir dans des solutions résilientes à faibles émissions de carbone, à donner la priorité aux emplois verts et à la croissance durable, et appellent les gouvernements à leur emboîter le pas avec un plan de relance aligné sur l’objectif de zéro émission nette bien avant 2050 . L’intégrité des informations données aux consommateurs fait l’objet d’une surveillance de plus en plus étroite. Forbes Magazine souligne qu’il est essentiel pour les commerces de détail de faire preuve de transparence dans leurs déclarations relatives à la durabilité.

La plupart des gens passent en moyenne 12 heures par jour devant un écran, autrement dit, les clients peuvent faire des recherches sur tout ce qu’ils souhaitent. C’est comme si chaque entreprise était une maison de verre. Il suffit de taper quelques mots sur un clavier pour savoir si une organisation observe des pratiques non éthiques ou des normes de recrutement inéquitables. De même, pour savoir si un détaillant ne respecte pas les valeurs qu’il prêche. Et en quelques minutes, les clients peuvent partager ces informations préjudiciables avec des milliers – voire des millions – d’autres personnes. Les consommateurs d’aujourd’hui font des achats en accord avec leurs valeurs et récompensent les sociétés qui prennent ces principes au sérieux. Et les éléments de preuve laissent penser que les entreprises inclusives, diverses et durables sur le plan environnemental ont de meilleures chances de bénéficier de la préférence des consommateurs. Plus que jamais, les clients demandent plus de précisions sur les produits qu’ils achètent. Dans le secteur alimentaire, cela fait un certain temps que le mouvement de la ferme à l’assiette remporte du succès. Des recherches récentes montrent que cette tendance va se poursuivre. Plus des deux tiers (68 %) des consommateurs affirment qu’ils veilleront à limiter le gaspillage alimentaire après la crise.

Une mentalité similaire se propage aussi dans le secteur de l’habillement et des produits pour la maison. Les consommateurs exigent des informations sur leurs vêtements et leur literie, notamment sur les matières premières utilisées dans leur fabrication, l’endroit où ils ont été confectionnés et comment ils ont été transportés. Disposer d’un réseau d’approvisionnement numériquement connecté, qui s’appuie sur des technologies telles que l’intelligence artificielle, l’Internet des Objets et autres solutions de traçabilité n’est pas seulement plus efficace et moins dispendieux, mais permet également de fournir directement des précisions sur la durabilité des produits au client. Ces plateformes technologiques ont le potentiel de devenir une nouvelle forme de marketing en soi .

Le fait que lors de la COP26 en novembre 2021, des millions de gens ont manifesté dans le monde, inquiets de voir les engagements des gouvernements et des entreprises en matière de changements climatiques rester lettre morte, montre que les consommateurs sont vigilants et prêts à passer à l’action.

Joe Jackman, cadre du secteur de détail, souligne un autre risque d’atteinte à la réputation : de plus en plus, les salariés veulent travailler pour des entreprises qui soutiennent leur communauté et embrassent des valeurs similaires aux leurs, en particulier la nouvelle génération; par conséquent, avoir une solide gouvernance climatique en place favorise la rétention des talents et constitue un autre point de ralliement pour les employés. Il observe que depuis la pandémie, les gens s’intéressent de plus en plus à ce qu’ils peuvent contrôler dans leur entourage immédiat ; ils veulent savoir quel est l’objectif ou le but que le détaillant s’est fixé et comment il tient ses engagements dans le cadre de ses choix en matière d’emploi et de consommation.

Risques de litige

Il y a de plus en plus de litiges concernant le manque d’efforts des entreprises pour atténuer les effets des changements climatiques, tenter de s’adapter et divulguer comme il se doit les risques financiers importants ou de fausses déclarations relatives à leur performance écologique. Au fur et à mesure que le montant des pertes et dommages liés aux changements climatiques augmente, le risque de litige de litige s’accroît.

Dans le secteur du commerce de détail, le risque de litige peut se matérialiser en vertu du droit sur les valeurs mobilières, du droit des sociétés ou de la législation de protection des consommateurs. En ce qui concerne les commerces de détail cotés en bourse, la réglementation des valeurs mobilières au Canada devient plus exigeante en matière de divulgation des risques climatiques , et les détaillants qui omettent de divulguer les risques importants et les stratégies pour y remédier peuvent faire l’objet de sanctions ou de poursuites civiles de la part des investisseurs. Aux États-Unis et en Europe, les autorités de règlementation ont commencé à enquêter, et poursuivent les entreprises qui mentent dans leurs divulgations relatives à la durabilité . En 2021, la Commission américaine des titres et de la bourse (US Securities and Exchange Commission) a créé un groupe de travail chargé d’enquêter sur les pratiques potentiellement répréhensibles concernant les affirmations relatives à la durabilité, et travaille à l’élaboration d’un nouveau règlement afin d’exiger une plus grande clarté dans les divulgations climatiques des émetteurs .

Le fabricant de lait d’avoine Oatly fait l’objet de trois recours collectifs en valeurs mobilières au nom de tous les acheteurs de parts d’actions américaines (American Depository Shares ou ADS) durant une période particulière en 2021. Ces derniers accusent les administrateurs et dirigeants de la société Oatly d’avoir fait des déclarations fausses et trompeuses concernant la durabilité et les paramètres financiers lors d’un premier appel public à l’épargne (PAPE) ayant levé 1,4 milliard de dollars américains en mai 2021 . Deux mois après ce PAPE, un vendeur à découvert a publié un rapport selon lequel Oatly s’était livrée à des pratiques comptables irrégulières et d’écoblanchiment, ce qui a entraîné la chute du cours du marché et débouché sur les recours collectifs . L’affaire est en instance et en octobre 2021, la cour de district des États-Unis a ordonné le dépôt d’informations complémentaires pour pouvoir décider s’il y avait lieu de regrouper les recours collectifs et de nommer un demandeur principal .

Les récentes poursuites pour écoblanchiment indiquent un changement radical quant à la manière dont les investisseurs exigent des détaillants qu’ils assument leurs responsabilités . En avril 2021, Truth in Advertising rapportait plus de vingt procès en cours, attentés en vertu de la législation sur la concurrence, la protection des consommateurs et la publicité . Lors du procès de Tide, la National Advertising Division (Division de la publicité nationale) des É-U a recommandé à la société de modifier l’information de ses étiquettes sur la composition végétale de ses produits pour éviter de diffuser un message infondé, selon lequel le détergent à lessive serait dérivé à 100 % d’ingrédients issus des plantes . Une semaine après que Tide ait accepté de mettre en œuvre la décision [du tribunal], un recours collectif a été lancé contre la société, au motif qu’il y a avait du pétrole dans les composants du détergent et que la valorisation de la marque et l’emballage du produit visaient à tromper et à escroquer les plaignants et demandeurs; ce procès est toujours en cours .

Parmi d’autres exemples de poursuites concernant des détaillants, Coca-Cola a été accusée d’enfreindre la loi de protection des consommateurs américaine [Consumer Protection Procedures Act]pour s’être faussement présentée comme une entreprise durable et respectueuse de l’environnement, alors qu’elle génère plus de pollution plastique que toute autre société dans le monde . Chiquita a été poursuivie pour avoir vanté sur son site Web ses pratiques respectueuses de l’environnement concernant les cours d’eau; le tribunal a estimé que les plaintes pour pratiques commerciales déloyales et trompeuses et violation de la garantie expresse étaient recevables . Les consommateurs ont poursuivi Keurig, au motif que ses capsules de café jetables n’étaient pas recyclables dans la pratique, et le tribunal a estimé que leur demande était adéquate, car ils avaient raisonnablement pu tester ces produits . La société qui fabrique et commercialise l’écran solaire Banana Boat fait l’objet de deux recours collectifs en vertu de la législation américaine sur la concurrence et la publicité mensongère et du Consumers Legal Remedies Act , ainsi que de dommages et intérêts pour avoir présenté son produit de manière fausse, trompeuse et fallacieuse comme étant « respectueux des coraux » alors qu’il contient des ingrédients préjudiciables aux récifs de corail et à la faune marine . Un recours collectif lancé contre Allbirds, en juin 2021, accuse cette société d’avoir faussement déclaré que ses chaussures de sport ont une faible empreinte carbone et avoir prétendu recourir à des pratiques durables et humaines pour tondre la laine des moutons .

En France, la grande chaîne de supermarchés Casino est poursuivie en justice par une coalition d’ONG et de peuples autochtones à la suite d’une enquête de terrain menée par l’ONG Envol Vert, qui a découvert que les fournisseurs de Casino achetaient régulièrement de la viande de bœuf dans trois abattoirs liés à la déforestation et à l’appropriation illicite de terres dans l’Amazone et l’éco-région de la savane du Cerrado, au Brésil . Les organisations autochtones demandent réparation pour les dommages infligés à leurs terres ancestrales et l’altération de leur mode de vie . Tous ces cas démontrent combien le risque de litige augmente.

Le cabinet comptable EY Canada rapporte qu’en 2020 le commerce de détail, la santé et les biens de consommation sont les secteurs ayant affiché les plus piètres performances en matière de divulgation financière liée au climat, en termes de couverture et de qualité de l’information . Les paramètres de couverture et de qualité de l’information ont été estimés en fonction de leur alignement sur les recommandations du GIFCC . En moyenne, les commerces de détail ont observé moins de la moitié des recommandations du GIFCC, la gestion des risques étant le thème le moins divulgué . EY révèle qu’en général, les divulgations consistent en des discussions de haut niveau et que la plupart des sociétés ne fournissent pas de description détaillée de la responsabilité du conseil d’administration en matière de surveillance des opportunités et risques associés au climat . La majorité des commerces de détail n’expliquent pas comment les processus d’identification, d’évaluation et de gestion des risques climatiques sont intégrés dans la gestion globale des risques de l’organisation. Moins de la moitié de ces sociétés divulguent leurs émissions de GES relevant des champs d’application 1, 2 et 3 et un grand nombre ne fournit aucune information sur leurs émissions .

Le rapport d’EY révèle que les commerces de détail n’ont pas recours à des scénarios climatiques, ce qui limite leur capacité à tester leur résistance face à l’exposition aux risques climatiques et à évaluer leur future résilience dans une économie décarbonisée . EY observe que bien que les commerces de détail tentent de fournir une évaluation de l’impact financier des opportunités et risques liés au climat, des estimations ne sont toujours pas intégrées aux états financiers des sociétés. Moins de 10 % des sociétés évaluées ont fourni une certaine forme d’estimation quantitative de l’impact financier des opportunités et risques liés au climat sur leur activité . Bien que l’analyse d’EY ne fasse pas de distinction particulière avec le Canada, elle révèle qu’au R.-U., en France et en Australie, les commerces de détail se montrent plus efficients en matière de divulgation et de gouvernance , ce qui signifie que les entreprises canadiennes analysées accusent un retard. Chacune de ces révélations représente une possibilité de poursuite pour les investisseurs, car leurs attentes en matière de gestion avisée des risques climatiques sont de plus en plus considérées comme raisonnables par les tribunaux.

Bien que sans rapport avec le secteur du commerce de détail, la récente décision rendue par les tribunaux des Pays-Bas concernant Royal Dutch Shell vaut certainement la peine d’être soulignée : le tribunal de district de La Haye a reconnu que 85 % des émissions de Royal Dutch Shell relevaient du champ d’application 3 et a ordonné à la société de réduire les émissions de CO2 relevant des champs d’application 1 à 3 dans l’ensemble du groupe, soit 1100 entreprises, de 45 % d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2019 . Le tribunal a expressément indiqué que la norme de diligence incluait la nécessité, pour les entreprises, d’assumer la responsabilité de réduire les émissions des champs d’application 3, en particulier lorsque celles-ci représentent la majorité de leurs émissions.

Aux États-Unis, on observe un nombre croissant de recours collectifs accusant les sociétés d’avoir fait des déclarations substantiellement fausses ou trompeuses aux investisseurs sur la gestion de leurs placements, eu égard aux émissions de carbone et au possible délaissement d’actifs; et bien que les résultats soient pour l’instant mitigés, un certain nombre de cas sont actuellement en instance d’appel . Certains investisseurs et autres organisations ont élaboré des paramètres de notation classant les entreprises en fonction de leur performance en matière de réduction d’émissions.