18 mars 2024
Bulletin trimestriel: Mouvements et blocages en politique climatique canadienne
Quel premier trimestre! Le nombre de développements en gouvernance climatique et finance durable au Canada est impressionnant. Pourtant, le Canada est toujours sous le feu des projecteurs parce qu’il est à la traîne par rapport à ses homologues internationaux dans l’adoption des politiques solides liées au climat pour les entreprises, qui nous aideraient à aligner notre système financier sur une transition vers zéro émission nette et à nous orienter vers une économie plus durable.
Les organismes de réglementation canadiens subissent une pression croissante pour s’aligner sur les normes mondiales de divulgation obligatoire d’informations sur le climat et de finance durable. En l’absence d’orientations et de réglementations claires, les entreprises canadiennes risquent de passer à côté d’opportunités importantes alors que les capitaux bougent de plus en plus vers des solutions durables.
Placer la barre haute: Les juridictions leaders imposent la divulgation obligatoire d’information liée au climat
En février, Singapour a annoncé l’introduction de rapports obligatoires sur le climat alignés avec les normes de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), à partir de 2025. Par une approche progressive, les entreprises cotées en bourse divulgueront d’abord les informations liées au développement durable, suivies par les grandes entreprises non cotées en bourse sur la base d’un seuil de revenus et d’actifs. Les informations obligatoires sur le climat incluront également les émissions de gaz à effet de serre (GES) du champ d’application 3, comme c’est le cas dans les obligations d’information sur le climat en Europe. Une première en rapport de durabilité, le gouvernement de Singapour financera jusqu’à 30 % des grandes entreprises pour les aider à publier leur premier rapport sur le développement durable.
Les trois principales bourses chinoises ont également fait preuve de leadership en annonçant des exigences obligatoires de rapport de durabilité pour les sociétés cotées en bourse, y compris les sociétés ayant une double cotation à l’étranger.
Plus près de nous, la Securities Exchange Commission (SEC) des États-Unis a finalement voté et adopté, au début du mois, des règles visant à améliorer et à normaliser les informations relatives au climat à l’intention des investisseurs. Après une longue attente, la SEC a publié sa règle finale qui oblige les entreprises enregistrées à divulguer des informations sur le climat. Les entreprises devront divulguer des informations sur le rôle du conseil d’administration et de la direction en ce qui concerne les risques climatiques importants, l’impact important des risques climatiques sur la stratégie, le modèle d’entreprise et les perspectives de l’entreprise, les processus de gestion des risques et les émissions du champ d’application 1 et 2, si elles sont matérielles.
Bien que la règle finale soit plus faible que la règle proposée et que les autres exigences en matière de rapports en Californie et en Europe, elle reste une bonne nouvelle pour les rapports de durabilité des entreprises aux États-Unis. Comme l’a déclaré Cynthia Williams, co-investigatrice principale de l’Initiative canadienne de droit climatique (CCLI), « ce régime de divulgation peut inciter les entreprises à prendre la gouvernance climatique plus au sérieux. »
Où en est le Canada?
Sur le plan national, nous avons eu quelques bonnes nouvelles, ainsi que des développements décourageants (ou l’absence de développement). Commençons par les bonnes nouvelles.
La semaine dernière, le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) a publié ses propositions de normes canadiennes d’information sur la durabilité (NCID) 1 et 2 et a ouvert une consultation publique. La norme NCID 1 est axée sur les exigences générales et la norme NCID 2 sur les informations liées au climat. Les deux exposés-sondages sont respectivement alignés sur les normes S1 et S2 de l’International Financial Reporting Standards (IFRS), mais sont légèrement adaptés au contexte canadien. Les principaux ajustements concernent la date d’entrée en vigueur, qui a été prolongée d’un an (périodes de déclaration annuelles commençant le ou après le 1er janvier 2025), et la période d’allègement transitoire pour les divulgations au-delà des risques et opportunités liés au climat a également été prolongée à deux ans (période de déclaration commençant le 1er janvier 2027). D’autres considérations notables comprennent la prolongation de la période de transition pour la divulgation des émissions du champ d’application 3 à deux ans (période de déclaration commençant le 1er janvier 2027) et la mention des droits des peuples autochtones et de la participation des Premières nations, des Métis et des Inuits à l’élaboration des normes de divulgation en matière de développement durable au Canada. Le CCNID a reconnu l’importance de faire progresser la réconciliation autochtone et l’engagement significatif des peuples autochtones dans le processus de consultation afin de respecter leurs droits, leurs perspectives et leurs priorités.
Il s’agit d’une étape importante pour le Canada dans la facilitation et l’accélération de l’adoption de normes de durabilité alignées sur les développements mondiaux, à savoir les normes IFRS S1 et S2. Bien que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) n’aient pas inclus les émissions du champ d’application 3 dans leur proposition d’instrument national 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques, il est encourageant de voir l’inclusion des émissions du champ d’application 3 dans les normes NCID. Le CCNID reconnaît qu’il est difficile de collecter les données, de les divulguer et d’agir pour réduire les émissions du champ d’application 3. Cependant, il a également mentionné que ces informations sont cruciales pour les investisseurs, car les émissions du champ d’application 3 représentent une part importante des émissions totales de GES de nombreuses organisations et peuvent révéler des informations importantes sur l’exposition d’une organisation aux risques et aux opportunités liés au climat dans sa chaîne de valeur. Nous ne pouvons qu’espérer que cette exigence sera maintenue dans les normes finales.
Entre-temps, l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’organisme de réglementation des valeurs mobilières du Québec, a fait preuve de leadership en publiant son projet de ligne directrice sur la gestion des risques liés aux changements climatiques. Il s’agit d’une reconnaissance importante du fait que les risques liés au climat peuvent affecter de manière significative la solidité des institutions financières réglementées par le Québec et, par conséquent, la résilience du système financier canadien. Il convient de souligner que l’AMF a inclus le traitement équitable des clients dans ses thèmes, où les institutions financières doivent prendre en considération l’évolution des risques liés au climat dans le développement, le marketing et la publicité de produits nouveaux ou existants – ce qui n’est pas inclus dans la ligne directrice B-15 du Bureau du surintendant des institutions financières. CCLI a accueilli favorablement les conseils de l’AMF et a soumis ses recommandations en janvier.
Nous organisons une discussion sur la ligne directrice de l’AMF le 24 avril. Nous vous encourageons à vous joindre à nous pour cette importante conversation.
Alors que les provinces prennent les devants, il est plus que temps que l’autorité nationale de réglementation des valeurs mobilières du Canada se joigne au peloton pour veiller à ce que les investisseurs disposent des informations nécessaires pour prendre des décisions efficaces en matière d’investissement et d’engagement. Plus de deux ans après la publication du règlement 51-107 par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, l’organisme de réglementation n’a toujours pas finalisé et mis en application ce règlement. CCLI a pressé les ACVM et toutes les commissions des valeurs mobilières provinciales et territoriales à finaliser et à mettre en vigueur le règlement 51-107.
Le deuxième anniversaire de l’introduction du Climate-Aligned Finance Act (CAFA ou projet de loi S-243) par la sénatrice Galvez approche à grands pas. Pourtant, CAFA est toujours en cours d’examen par le comité bancaire du Sénat et n’a pas encore été mise en œuvre. Ce projet de loi, qui vise à aligner le système financier canadien sur les objectifs climatiques, a reçu un soutien important de la part d’universitaires, de groupes de la société civile et d’experts en climat partout à travers le pays. Le projet de loi renforcerait les obligations des administrateurs des institutions financières fédérales, un secteur clé qui doit faire sa part dans la transition, en ce qui concerne la finance durable.
De la vitesse de l’escargot à cette du lapin: Peut-on accélérer le rythme?
Il nous reste moins de six ans pour atteindre nos objectifs de 2030, à savoir réduire nos émissions de GES de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2005 et mettre en œuvre les politiques clés décrites dans le plan de réduction des émissions de 2023. Pour atteindre ces objectifs, nous devons adopter une approche « globale de l’économie » qui inclut les entreprises et le secteur financier. La rapidité est primordiale. Plus nous prendrons de temps, plus nous risquerons d’effectuer une transition désordonnée ou un scénario « trop peu, trop tard », dans lequel nous devrons faire face à des politiques soudaines et imprévues, en plus de subir des risques climatiques physiques importants.
Ce mois-ci, nous avons publié un guide à l’intention des organisations non gouvernementales (ONG) et des membres de la société civile pour qu’ils continuent à faire pression en faveur d’une législation efficace sur le climat au niveau provincial. Les entreprises et les institutions financières réglementées au niveau provincial doivent également faire leur part pour progresser sur la voie d’une économie carboneutre. Ce guide vise à aider les ONG et les membres de la société civile à s’y retrouver dans les lois et les départements responsables de la réglementation de la conduite des entreprises, des institutions financières et des fonds de pension, afin qu’ils puissent élaborer leurs propres recommandations politiques pour faire progresser la transition vers une économie à zéro émission nette au Canada.
Le coût des dommages climatiques en 2025 pourrait s’élever à 25 milliards de dollars par rapport à un scénario d’économie stable. Nous ne pouvons pas nous permettre l’inaction. Une législation et une réglementation efficaces inciteront les entreprises et les institutions financières à agir, tout en renforçant la résilience et la viabilité du système financier canadien.